« Toutes les choses de ce monde sont sujettes au changement et à la destruction : c’est la loi de la non-permanence. » La non-permanence, c’est la grande vérité de notre monde, où tout est changeant et précaire. Nul être, nul objet ne demeure identique à lui-même. Tout ce que nous voyons est en état de transformation perpétuelle : les apparences se dessinent, puis disparaissent, ou se désintègrent. La doctrine bouddhique distingue dans ce processus quatre phases : d’abord la création (ou la naissance), puis la croissance (ou l’apogée), ensuite le déclin et enfin la destruction. Tout ce qui existe dans l’univers, du grain de sable jusqu’aux étoiles, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, passe par ces quatre phases, tout est sujet à la non-permanence. L’homme de cette année n’est pas le même que celui de l’année dernière, le corps de ce soir n’est pas celui de ce matin.
Le courant mental ne s’arrête jamais lui non plus. En l’espace d’une seconde, nos sentiments peuvent varier d’un extrême à l’autre, nos pensées passer d’un sujet à un autre. Nos pensées et nos sentiments naissent et meurent le temps d’une pulsation, et cette rapidité même qui crée en nous l’illusion de la continuité, de ce qu’on a appelé « l’identité du moi ».
Pour permettre à ses disciples de comprendre, le Bouddha ordonna à Rahula de donner un coup de gong. Et pendant que l’instrument résonnait, Bouddha demanda :
Ananda, vous entendez ?
Oui, Maître, j’entends.
Quand les vibrations s’éteignirent, le Parfait demanda encore :
Ananda, vous entendez ?
Non, Maître, je n’entends plus !
Bouddha ordonna à Rahula de donner un second coup de gong, et de nouveau posa la question à Ananda.
Ananda, vous entendez ?
Oui, Maître, j’entends.
Alors le Bouddha réprimanda son disciple préféré :
Ananda, pourquoi me faites-vous des réponses si peu sensées ?
Profondément surpris, Ananda répondit respectueusement :
Maître, tout comme mes condisciples, que puis-je dire d’autre, sinon que j’entends au moment où le gong résonne, et que je n’entends plus lorsque le son s’éteint ?
Ananda, reprit le Maître, vous me répondez que vous entendez, quand Rahula frappe sur le gong, et que vous n’entendez plus, lorsqu’il n’y a plus de son. Cela signifie-t-il que votre faculté d’entendre disparaît avec le bruit ? Dans ce cas, comment avez vous pu percevoir le deuxième coup de gong de Rahula ? Ce que vous m’avez répondu la seconde fois, ce n’est donc pas la vérité. En fait vous avez continué à entendre. Ce qui apparaît, puis disparaît, c’est le son. Le son est la chose discontinue, mais il existe un élément permanent qui est votre faculté d’entendre. »
En termes de concepts, le Bouddha, vit la vérité du changement. Il vit que tout était processus. Il vit que ceci était vrai à tous les niveaux : il y avait des processus non seulement dans le monde matériel, mais aussi dans le monde mental. Il vit qu'il n'y avait en fait rien, nulle part dans le monde, dans l'existence conditionnée, qui ne change pas, qui ne soit pas processus.
Mais le Bouddha vit aussi que ce changement n'était pas fortuit : les choses n'apparaissent et ne disparaissent pas par hasard. Tout ce qui apparaît, apparaît en dépendance de conditions ; tout ce qui cesse, cesse parce que ces conditions cessent (les conditions sont des conditions purement naturelles ; il n'y a pas de place ici pour une explication telle que la volonté de Dieu). Le Bouddha ne vit donc pas seulement la vérité du changement, mais il vit aussi la loi de la conditionnalité.
La loi de la conditionnalité, bien qu'elle soit le principe fondamental de la pensée bouddhique, peut être exprimée sous une forme très simple : A étant présent, B apparaît ; en l'absence de A, B n'apparaît pas.
Publié le : 18 avril 2015